Abstract
L’histoire officielle de la discipline veut que la psychologie sociale française, née et morte aussitôt à la fin du XIXe siècle, ait connu une longue éclipse pour renaître seulement dans les années 1950 sous influence américaine. Cette disparition dans la première moitié du XXe siècle serait due à la domination de la sociologie durkheimienne qui passe pour être hostile à la psychologie. Cet article remet en cause cette vision traditionnelle. Il montre que la sociologie durkheimienne s’est elle-même définie comme une psychologie collective et qu’elle a su, à partir des années 1910 environ, ouvrir un véritable dialogue avec les psychologues au sein de l’université. L’idée durkheimienne que les catégories les plus fondamentales de la pensée sont déjà des constructions sociales provoqua chez les psychologues une véritable petite révolution intellectuelle. Elle les obligea en effet à sortir du champ étroit de la psychophysiologie qu’avaient promu depuis 1870 les fondateurs tels Taine et Ribot, en réaction contre le spiritualisme. Cette nouvelle psychologie sociale a influencé la plupart des grands psychologues de l’époque (Blondel, Dumas, Janet, Meyerson, Wallon), mais le temps et les hommes lui ont manqué pour s’institutionnaliser. De fait, elle disparaît avec la mort de ses principaux artisans (Blondel et Halbwachs) et l’oubli parfois volontaire pratiqué par leurs successeurs.