Abstract
Un des principaux intérêts de la linguistique antique dans l'aire grécoromaine est la pluralité des points de vue portés sur le langage, la diversité des modes d'approche et d'analyse du domaine abordé: le langage n'était pas perçu de la même façon selon qu'il était analysé sous l'angle de la grammaire, de la rhétorique ou de la philosophie, et l'histoire des idées linguistiques de l'Antiquité est faite de la combinaison de ces points de vue. Cette pluralité a entraîné dans l'Antiquité elle-même d'incessants problèmes de frontières entre les différentes disciplines concernées, avec toutes sortes d'exclusions, de tentatives hégémoniques, de contestations et de redéfinitions de chacun des domaines. Curieusement, le traitement moderne de l'histoire de la linguistique antique a volontiers reproduit cette situation conflictuelle: il est constant au XIXe siècle, et au XXe siècle jusqu'à une date récente, de présenter la grammaire comme «fille de la philosophie», non pas tant pour souligner une filiation génétique quelconque que pour installer un rapport hiérarchique et afficher d'entrée de jeu la primauté de la philosophie et l'incapacité supposée de la linguistique antique à s'affranchir de ses origines et à fonder l'autonomie de son champ d'analyse. À vrai dire, cette vision des choses avait changé depuis une vingtaine d'années, les chercheurs renonçant à cette conception, au profit d'une étude de la spécificité de chaque point de vue. Cependant, peut-être parce que chaque génération cherche à se démarquer de la précédente, une jeune chercheuse, Frédérique Ildefonse, propose dans cette Naissance de la grammaire dans l'Antiquité grecque une reprise de l'interprétation «philosophique» de la linguistique antique, et à vrai dire il n'est pas inintéressant en effet de réexaminer aujourd'hui, à l'aune des progrès accomplis ces dernières années, ce qui était le socle de la réflexion d'un Lersch ou d'un Steinthal.