Abstract
L’article entend confronter la théorie moderne de l’art au phénomène d’esthétisation de la sphère marchande mis en évidence par la sociologie, en prenant pour cadre de référence l’esthétique de la réception de Hans Robert Jauss. Bien que s’appliquant surtout à la littérature, la théorie de Jauss n’est pas sans concerner aussi les arts plastiques. La synthèse qu’elle opère entre, d’un côté, le formalisme russe du début du xx e siècle, qui, le premier, s’employa à isoler les propriétés internes des œuvres d’art, et, de l’autre, l’historicisme d’inspiration marxiste qui s’attacha pour sa part à rendre compte de leurs évolutions en fonction de l’histoire générale de la société, semble particulièrement propice à l’abord d’un problème qui est à la fois symbolique, esthétique et historique. En effet, dès lors que de nombreux produits et services de consommation tendent à adopter certaines caractéristiques de l’œuvre d’art, l’analyse formelle, qui constitue l’arc-boutant de l’approche esthétique moderne, entre dans un périmètre d’application beaucoup plus large que celui dont participe l’histoire de l’art. Dans ce cas, l’importance accordée à la forme des objets, prise en ce sens esthétique, devient en elle-même une composante de l’histoire sociale, dans la mesure où elle ne concerne plus seulement les évolutions de la production artistique, mais intéresse aussi, en leurs principes, celles plus générale de la production marchande. Moyennant un approfondissement de leur versant social – ceci en se demandant, non pas comment l’expérience artistique transforme le monde vécu, mais comment le monde vécu transforme lui-même le monde artistique – les analyses de Jauss nous permettent ainsi de reformuler, en des termes propres à la théorie de l’art, la question de la convergence catégorielle mise en évidence par la sociologie, et, de là, d’engager une réflexion nouvelle sur les transformations de la sphère artistique à l’heure du capitalisme esthétique.