Abstract

L'existence humaine nous apparaît, d'un côté, comme insérée dans l'évolution temporelle, alors que, d'autre part, elle se révèle comme identique au milieu des multiples changements qui se produisent en elle, tant au point de vue physique qu'au point de vue psychique. C'est pourquoi certains penseurs ont affirmé au cours de l'histoire que l'homme reste le même tout en étant soumis à un développement temporel incessant, thèse qui est d'une importance capitale dans le domaine de la métaphysique et de la morale ; d'autres au contraire considèrent l'identité du moi ou bien comme une pure fiction résultant de la structure du langage, ou bien comme une certaine densité intérieure qu'il est impossible d'élucider par la pensée rationnelle. Pour réfuter cette seconde conception, on fait d'ordinaire appel à l'expérience immédiate que nous avons de notre activité et du principe qui en est à la base : l'identité du moi apparaîtrait comme une donnée immédiate et évidente de toute conscience humaine. Sans vouloir discréditer ce recours à l'expérience immédiate, nous nous sommes demandés s'il n'est pas possible de montrer l'identité du moi par voie indirecte, en analysant les caractères propres de l'activité humaine. Pour ce faire, nous nous sommes basés sur le caractère supra-temporel qui se manifeste dans nos actes : car si le temps est lié à l'évolution du monde matériel et si le changement de ce monde est à la base de son caractère temporel, on peut en conclure que l'existence humaine sera identique dans la mesure où elle est supra-temporelle. Ce caractère supra-temporel se manifeste dans notre activité à un triple niveau : d'abord en ce que chaque moment de notre vie embrasse notre existence tout entière, le présent comme donné actuel, le passé sous forme de souvenirs et l'avenir sous forme de projets ; ensuite, en ce que l'homme est un être faisant de l'histoire et sortant par conséquent des limites étroites de sa propre existence pour s'intéresser à l'ensemble de l'évolution dans laquelle il est inséré ; finalement, en ce que l'activité judicative se situe à un plan supra-temporel et transcendental, c'est-à-dire au plan de l'être absolu et nécessaire, qui constitue l'arrière-fond de chacun de nos jugements. Il en résulte que l'existence humaine reste foncièrement la même : de même que chaque donnée intelligible que nous assimilons, n'est pas entièrement nouvelle, parce qu'elle était précontenue dans l'arrière-plan transcendental de notre vie intellectuelle, de même dans la vie volitive chaque volition particulière s'inscrit sur un fond transcendental qui embrasse toutes les valeurs. Ainsi donc le développement de l'existence humaine ne présente jamais de transformation radicale, brisant son identité foncière, parce que les nouvelles acquisitions sont toujours précontenues dans ce qu'on peut appeler l'horizon transcendental de nos activités supérieures. La présence de cet triple caractère supra-temporel dans l'existence humaine, nous semble prouver que l'homme, tout en étant inséré dans l'évolution cosmique, la transcende réellement, ce qui veut dire qu'il est principe d'actes libres et qu'il est un « moi » identique. L'existence humaine est donc ambiguë de ce point de vue, puisqu'elle est à a fois temporelle et supra-temporelle, identique et changeante