Abstract

Parmi les interprétations de la définition du „mouvement“ due à Aristote, A. Kockelmans s'est prononcé — avec raison — en faveur de celle qu'il a retrouvée chez les commentateurs grecs comme chez saint Thomas et qui a été formulée très nettement par W. D. Ross. Toutefois il ne paraît guère soutenable que saint Thomas ait repris ces vues aux anciens par l'intermédiaire d'Averroès, car on ne constate pas chez celui-ci qu'il ait eu connaissance de cette manière de voir, laquelle remonte à Alexandre d'Aphrodise, ainsi qu'on peut s'en rendre compte en rapprochant entre eux les dires de Thémistius, Philopon et Simplicius dans leurs commentaires respectifs à la Physique d'Ariscóte. Que saint Thomas ait reproduit ainsi l'interprétation des commentateurs grecs sans la connaître, cela constitue sans doute un argument sérieux en faveur de la justesse de cette interprétation. Il ne semble pas d'ailleurs y être arrivé d'emblée : son commentaire sur la Physique n'est pas suffisamment net à cet égard, tandis que le commentaire sur la Métaphysique, postérieur en date, ne laisse subsister aucune ambiguïté à ce sujet. Le sens qu'on attribuera à la définition aristotélicienne sera alors le suivant : le mouvement est l'acte de ce qui est en puissance à être mû en tant qu'en puissance à être mû. En bonne exégèse il ne peut être question d'une puissance à autre chose dans chacune des deux mentions de la puissance que comporte la définition. D'autre part, il faut exclure qu'il s'agisse de la potentialité à être le terme du mouvement ; autrement la définition s'appliquerait à un mobile arrêté au milieu de sa course, mais capable encore d'en atteindre le terme. Il résulte de tout ceci que l'acte, répondant à la puissance considérée, sera, non un acte permanent, mais une actualisation, un passage proprement dit, ou un changement dans l'ordre de l'acte : la définition est par le fait même vicieuse, vu qu'elle comporte la note de changement qui est le genre même du mouvement. Aristote semble avoir voulu éviter le cercle vicieux en recourant aux notions d'acte et de puissance, mais n'y a pas réussi. Il est plus heureux quand, dans Metaph., IX, 6, 1048 b 18-35, et ailleurs, il reconnaît deux sortes d'acte : d'une part, l'acte qui, étant une actualisation qui exclut toute potentialité, est parfait et achevé dès l'abord, comme c'est le cas pour la plupart des activités psychiques ; — et, d'autre part, l'acte imparfait qu'est le mouvement, actualisation graduelle et continue, comportant nécessairement de la potentialité, et qui s'évanouit dès que le terme est atteint. Aussi la définition d'Aristote est-elle bonne, mais comme définition générique seulement : le mouvement est un acte, — tandis que ses prédécesseurs le ramenaient en fait à l'ordre de la potentialité. Mais la note spécifique qui distingue cet acte des autres était impossible à assigner valablement en vertu de la théorie aristotélicienne de l'abstraction : les concepts étant tirés des objets de sensation et le mouvement étant l'un des sensibles communs, perçus directement par divers sens, la notion de mouvement doit être dans ce qu'elle a de spécifique irréductible à des notions antérieures. Même difficulté en ce qui concerne la notion et la définition du temps