Abstract
Cet article propose de retracer dans l’œuvre de Foucault la présence d’un engagement critique discret mais continu avec la catégorie aristotélicienne de la phronesis. Au cours des années 1970, Foucault consacre ses recherches à de nombreuses instances de la techné, savoir pratique proche mais distinct de la phronesis. S’il ne mentionne pratiquement pas cette dernière, nous montrerons cependant que ce non-dit est tout sauf un impensé. C’est par un travail de et sur la phronesis que Foucault pensera la complexité des savoirs pratiques et négociera la distinction entre sa propre méthode, dite « généalogique », et les méthodes qu’il prend pour objet. Nous verrons que cette distinction s’articule autour d’un second doublet, celui du cas et de la singularité – une distinction qui prend tout son sens lorsqu’elle est passée au crible de la triade aristotélicienne du savoir : épistémè, techné et phronesis. Nous verrons que la notion foucaldienne de singularité, loin d’être identique au cas particulier, en constitue plutôt le principe de différence interne. En substituant une herméneutique de la singularité à une herméneutique du particulier, Foucault s’autorise à penser une phronesis renouvelée pour les temps présents.