Abstract

La distinction qu’Aristote propose de la connaissance pratique et de la connaissance théorique semble laisser le statut de la technique problématique : présentée comme une étape vers la science en Métaphysique A 1, la technique est rapprochée de la prudence en Éthique à Nicomaque VI 1, en ce qu’elles relèvent toutes deux de la même « raison délibérative ». Cette indétermination semble légitimer la critique célèbre adressée par Kant à la distinction aristotélicienne, ainsi que la conclusion radicale qu’il en tire de rapatrier l’ensemble de la technique et des maximes de la prudence dans le domaine de la connaissance théorique. Le commentaire aristotélicien lui-même reste divisé sur cette question. Dans cet article, nous souhaitons proposer une interprétation nouvelle de la place qu’assigne Aristote à la technique dans le domaine du savoir, et notamment de son autonomie vis-à-vis des sciences théoriques. Cette interprétation se fonde sur l’analyse par Aristote de la délibération pratique comme d’une forme de recherche (ζήτησις), qui s’oppose fondamentalement à l’ἐπιστήμη comme savoir constitué et achevé dans sa présentation déductive. La technique apparaît alors comme le savoir positif qui permet de guider la délibération, et qui a donc trait aux méthodes. L’intérêt de cette lecture est de suggérer l’existence d’un lien profond entre la technique et la logique de l’ Organon, qui pointe vers notre concept moderne de « procédure », dont le rôle est central dans la théorie moderne de la calculabilité et en informatique.