Abstract

Le problème examiné dans cette étude peut s'énoncer comme suit : comment se fait le développement de la connaissance humaine d'après saint Augustin ? Si on envisage la question d'un point de vue théorique, différentes solutions se présentent : on peut réduire le développement de la connaissance à une explicitation progressive d'un contenu latent au tréfonds de la conscience ; on pourrait aussi le considérer comme un accroissement continuel se faisant par juxtaposition d'éléments nouveaux, ajoutés à un contenu déjà existant ; enfin, entre ces deux solutions extrêmes il y a toute la gamme des conceptions intermédiaires. Saint Augustin a commencé par adopter le point de vue platonicien : tout progrès dans la connaissance ne serait jamais un véritable enrichissement, mais se réduirait à la réminiscence d'un contenu déjà présent à la conscience. Plus tard cependant, il s'est opposé à cette manière de voir, ce qui ne s'est pas fait sans une évolution assez importante dans sa pensée philosophique : car ce changement, qui semble avoir été amené, du moins en partie, par des facteurs d'ordre religieux, implique une plus grande valorisation des données sensibles, qui ne sont plus simplement considérées comme des stimulants pour l'éveil de connaissances latentes, mais qui entrent dans la constitution même des objets connus ; c'est la théorie que saint Augustin développe dans le De Magistro et dans plusieurs autres ouvrages. Ceci ne veut pas dire cependant qu'il considérera dorénavant le développement de la connaissance comme une simple juxtaposition d'éléments nouveaux ; car les apports sensibles sont soumis à un processus d'intégration : ils sont jugés à la lumière de la vérité éternelle, qui constitue l'horizon transcendental de notre développement cognitif. Pour être incorporées dans le patrimoine de la conscience, les données sensibles doivent être soumises au jugement de la lumière intellectuelle et c'est à ce moment seulement qu'elles deviennent de véritables connaissances et que l'erreur est possible. Une connaissance nouvellement acquise n'est donc jamais entièrement nouvelle ; elle préexiste d'une certaine manière dans l'horizon transcendental à la lumière duquel elle sera jugée. L'interprétation esquissée est confirmée par la théorie augustinienne de la connaissance de soi et par la manière dont l'auteur décrit sa découverte de Dieu dans les Confessions. Comparant la doctrine de saint Thomas dans le De Veritate q. XI avec la théorie de saint Augustin sur le développement de la connaissance, nous arrivons à la conclusion que les deux conceptions présentent une ressemblance fondamentale, mais que le Docteur Angélique accentue davantage le caractère organique et vital dans l'accroissement de la connaissance, sous l'influence de la psychologie aristotélicienne du processus cognitif