Abstract
La scène de la prise du pouls, dans le Voyage sentimental à travers la France et l’Italie de Laurence Sterne (1768), est à l’image de cette oeuvre de fiction. Cet épisode, dans lequel Yorick palpe le poignet d’une grisette parisienne (c’est-à-dire d’une ouvrière), évoque les affaires du coeur, au sens propre comme au sens figuré. Les chercheurs ont longtemps spéculé sur le sens à donner aux mots de Sterne, lorsqu’il décrit le Voyage sentimental comme « une oeuvre de rédemption ». Cependant, personne n’a songé à faire un lien entre le discours de Yorick sur la sensibilité et une controverse catholique contemporaine que Sterne était d’ailleurs susceptible de connaître, comme invitent à le croire des preuves circonstancielles. Cette controverse pourrait avoir guidé le rapprochement équivoque de Sterne, pourtant anglican, avec les pratiques catholiques. En 1765, le pape Clément XIII autorisait une certaine dévotion au Sacré-Coeur de Jésus. Il donnait ainsi une valeur aux visions de la soeur Marguerite-Marie Alacoque, qui eurent lieu entre 1673 et 1675. Après le second soulèvement jacobite de la fin des années 1740, le jeune Sterne s’était joint à son oncle Jacques, farouche antipapiste, pour faire condamner les religieuses de Mickelgate Bar à proximité de York, qui occupaient l’un des deux derniers couvents en Angleterre. À travers le Voyage sentimental, où s’élabore une théorie originale et tragicomique du Sacré-Coeur, il est possible que Sterne ait cherché à faire amende honorable, sous une forme excentrique, pour son fanatisme des jours passés.