Abstract
En général, une personne sait ce qu’elle pense, veut, ou ressent, sans avoir besoin pour cela de s’appuyer sur des observations d’elle-même. En ce sens, la connaissance de soi semble bénéficier d’un privilège par rapport à la connaissance d’autrui, celui de pouvoir apparaître comme vraie sans être fondée sur l’observation et l’inférence. Ce privilège se nomme, après Wittgenstein, l’« autorité de la première personne ». Pour expliquer ce phénomène, la métaphysique traditionnelle a postulé, à l’instar du cogito cartésien, que le sujet aurait une sorte d’accès direct à son intériorité que ne peut avoir autrui. Or, la plupart des philosophes contemporains rejettent l’idée d’intériorité « privée », mais ils ne s’accordent cependant pas sur l’explication qui devrait la remplacer.
Ce chapitre se concentre sur la solution que Richard Moran apporte à ce problème. Moran reprend la thèse sartrienne selon laquelle pour savoir et dire ce que je pense, veux, ou vais faire, je suis obligé de me décider, de m’engager plutôt que de m’observer. En ce sens, soutient Moran, le trait distinctif de la connaissance de soi en première personne n’est pas tant un privilège qu’une responsabilité à assumer. Mais pour s’engager de façon responsable, ne faut-il pas chercher d’abord à se connaître ? Nous considérons la force de cette objection, soulevée par Ferdinand Alquié contre Sartre, et tâchons d’y répondre. Ce faisant, notre but est de montrer en quoi l’engagement d’une personne exige un rapport à soi sans équivalent dans ses rapports à autrui.