Abstract
La théorie lockienne de la perception a été lue tantôt comme une forme de représentationnalisme, tantôt comme relevant d'un réalisme direct n'impliquant pas d'entité intermédiaire entre l'esprit et les choses. Cet article entreprend de clarifier cette question à partir des analyses de l'Essai sur la distinction et la confusion des idées. Celles-ci interrogent à la fois la nature de l'idée comme image et le fait qu'elle n'est déterminée que lorsque l'esprit lui donne un nom. Pour faire comprendre ce dernier point, Locke utilise la métaphore de l'anamorphose en peinture, et plus particulièrement de l'anamorphose cylindrique. En reliant cette métaphore aux théories de la perspective du XVIIe siècle, à la camera obscura de l'esprit, et enfin à l'optique du XVIIe siècle, l'article parvient à plusieurs conclusions. Faire de l'idée une image ne conduit jamais Locke à voir en elle un objet qui s'interpose entre l'esprit et les choses. Une idée comme celle de sense data est étrangère à sa pensée. Si Locke ne met jamais en doute la réalité du monde extérieur, c'est que pour lui l'idée nous donne d'emblée accès à une extériorité, qu'il s'agit de déterminer. Enfin, la perception lockienne ne relève pas d'un modèle sémantique dont l'origine serait à trouver dans Descartes et qui préparerait celui de l'empirisme du XVIIIe siècle, faisant de l'idée un signe. Elle se rapprocherait plutôt, paradoxalement, de l'idée austinienne du silence des sens