Abstract
L’histoire des mathématiques présente une singularité qui a souvent été remarquée par les historiens : contrairement à la physique, cette histoire ne procède pas essentiellement par conjectures et réfutations, mais par une succession d’enchaînements intégrant le passé dans le présent en le réinterprétant. Cette opération implique un acte de lecture du passé par le présent. En partant des thèses de Husserl dans L’origine de la géométrie sur le rôle de l’écriture dans l’historicité des mathématiques, l’article analyse les conditions de possibilité de cette lecture, liées à la nature du texte mathématique : cette dernière doit être pensée à partir de trois partages opérés par le regard du lecteur : entre le vrai et le faux, entre l’écriture et l’image, entre ce qui est mathématique et ce qui n’en relève pas. L’article prend pour exemple le statut de l’équation dans la Géométrie de Descartes. Il montre la solidarité profonde entre cette dernière et les idées que développe le philosophe sur la lecture et la nature du signe. Et il met en évidence comment il est possible à partir de ces idées de reconstituer la manière dont Descartes pouvait lire un texte mathématique, et de comprendre en quoi cela a déterminé en partie ses conceptions dans sa Géométrie, mais aussi en quoi d’autres lectures de la Géométrie peuvent l’insérer dans les mathématiques des siècles ultérieurs.