Abstract
La lecture de Kafka a grandement contribué à l’élaboration de la pensée de Lyotard. Dans son commentaire de Devant la loi, Derrida oppose à l’éthique lyotardienne de l’exercice libre et réfléchissant de la faculté de juger, la scène dramatisée et mélancolique de la Loi qui est différance, atermoiement indéfini, Loi du récit. Dans son propre commentaire de La Colonie pénitentiaire, Lyotard met l’accent sur la prescription comme préjudice fait à l’affect et au sensible et sur les opérations de détournement par le politique de la Loi qui la transmuent en instance de commandement. La représentation kafkaïenne de la loi, terrifiante et sacrificielle, ne correspond guère, selon lui, à la loi juive qui est loi de vie. Dans son débat avec Hannah Arendt et en lisant Adorno, Lyotard se tourne ainsi vers un autre Kafka, au plus près de l’exister, exposé d’un seul tenant à la naissance et à la mort de l’improbable. Ici s’esquisse une autre figure de mélancolie plus proche de ce que représente le judaïsme : celle du Survivant, ressource intime, dans la solitude, du jugement comme de l’écriture.