Abstract
Une épistémologie phénoménologique est nécessairement intéressée aux points de contact et de passage entre problèmes scientifiques et problèmes philosophiques. Il est instructif, dans cette perspective, de revenir sur un moment historiquement décisif, mais éminemment équivoque, encore porteur de prolongements et de retournements dont nous n’avons peut-être pas encore pris toute la mesure : l’énoncé du principe de Pauli. Le statut logique de cet énoncé est lui-même ambigu : règle technique, semi-empirique, postulat, principe ou théorème, etc. Pour le meilleur et le pire, ce principe se trouve accouplé dès l’origine au problème de l’individuation en physique. Nous proposons de revenir sur quelques traits philosophiquement saillants des interprétations que Weyl et de Broglie proposent dudit « principe d’exclusion Pauli » (ou PEP). L’un et l’autre y voient l’occasion d’un approfondissement du principe d’individuation prévalant jusqu’alors dans la physique classique : l’espace. Weyl associe le PEP au principe leibnizien des indiscernables et tente de modéliser l’espace en jeu au moyen de la théorie des groupes. Les changements de position de Pauli lui-même à ce propos ne sont pas moins instructifs. La position de De Broglie sur ce principe est un marqueur de sa trajectoire : de la théorie audacieuse, et, équivoque, de « l’onde-pilote », jusqu’à celle dite de la « double solution », en passant par la période de rétractation consécutive au congrès de Solvay de 1927. Ce qui persiste d’un bout à l’autre, c’est un partage entre espace « réel » empirique et espace de configuration mathématique imaginaire. Chez l’un et l’autre, cette interprétation est ainsi indissociable d’un nouveau partage du subjectif et de l’objectif et d’une réflexion critique sur le principe traditionnel d’individuation qu’est l’espace (ou le temps physique) au profit d’une articulation toujours plus subtile et complexe entre l’espace de la phénoménalisation (de l’observation) et les « espaces » de la modélisation mathématique, en particulier les espaces des états possibles décrits dans le formalisme de la statistique quantique.