Abstract
La philosophie de la Nature et du Temps chez Alfred North Whitehead (1861-1947) n’a peut-être pas assez retenu l’attention des scientifiques, en particulier en France. On sait que ce mathématicien-philosophe collaborant avec Bertrand Russell pour l’écriture des Principia Mathematica (1910-1913) a insisté sur le caractère abstrait des points d’espace dans la fondation de la géométrie. A partir de 1911, il étend cette observation aux instants de temps, et développe progressivement, à partir de là, une vision de l’ontologie du monde comme une succession de « concrescences d’entités actuelles » dont chacune apporte avec elle une brique de temps finie. Ces concrescences ne sont pas sans rappeler les réductions du paquet d’ondes dans les opérations de mesure en mécanique quantique ; en fait, Whitehead a suivi de près le développement de cette théorie, comme il a suivi de près le développement de la relativité. Par ailleurs, sa philosophie de la Nature, ou comme il le dit sa philosophie de l’organisme, prévoit une solidarité globale des entités actuelles qui par certains côtés rappelle l’intrication quantique. On examine plus en profondeur cette similarité et ses limites, et aborde les relations esprit-matière chez cet auteur. Malgré ses défauts, la métaphysique de Whitehead, en en particulier la négation de l’instant a mis en lumière, à mon sens, la complexité du temps de la nature (chez Whitehead le process), bien au-delà de la variable continue t des physiciens. Une large part de cet article est basée sur mon livre Whitehead, Philosophe du Temps (auteur, 2020, à paraître).