Sören Kierkegaard - Alexis karpouzos

Abstract

«La vérité éternelle essentielle n’est pas du tout en elle-même paradoxale, mais elle n’est telle que dans son rapport avec un sujet existant. Expliquer le paradoxe signifierait alors saisir toujours plus profondément ce qu’est un paradoxe et que le paradoxe est le paradoxe. Ainsi Dieu est une représentation suprême qu’on ne peut expliquer par quelque chose d’autre, mais seulement par le fait qu’on s’approfondit soi-même dans cette représentation. Objectivement, on accentue ce qui est dit; subjectivement, comment c’est dit. Cette distinction vaut déjà en esthétique, où elle dit que ce qui est vérité peut, dans la bouche de celui-ci ou de celui-là, devenir mensonge. Objectivement, on ne s’informe que des déterminations de la pensée: subjectivement, que de son intériorité. A son somment, ce “comment” est la passion de l’infini, et la passion de l’infini est la vérité elle-même. Une telle définition de la vérité est la suivante: l’incertitude objective appropriée fermement par l’intériorité la plus passionnée, voilà la vérité, la plus haute vérité qu’il y ait pour un sujet existant. Là où le chemin bifurque (où, on ne peut le dire objectivement, car c’est justement la subjectivité) le savoir objectif est suspendu. Objectivement on n’a donc que de l’incertitude, mais c’est justement par là que se tend la passion infinie de l’intériorité, et la vérité consiste précisément dans ce coup d’audace qui choisit l’incertitude objective avec la passion de l’infini.» Ce que décrit Kierkegaard, n’est-ce pas philosopher et vraiment vivre, porter la tension jusqu’au point où on abandonne toute philosophie, où on prend le risque de sauter dans le vide, de transgresser l’ordre rassurant, n'étant plus porté que par la foi en l’infini (il ajoute plus loin: “Mais la définition ainsi donnée de la vérité est une transcription de celle de la foi. Sans risque, pas de foi.”)? Pour ma part, je le comprend ainsi: la connaissance qui s'applique à un objet extérieur ne pourra jamais concerner que cet objet, et en aucun cas le sujet. Elle restera donc toujours une vérité partielle, inscrite dans la dualité sujet-objet. Pour qu'elle devienne vérité la plus haute, "vérité éternelle essentielle", comme l'appelle Kierkegaard, il faut que l'esprit connaissant demeure dans l'incertitude quant à l'objet de sa connaissance (qui en l'occurence ne peut être que Dieu), qu'il accepte donc de ne pas le saisir, mais qu'il s'approprie avec toute l'énergie possible de sa passion l'incertitude même qu'il ressent face à Lui. Lorsque le sujet demeure ainsi dans un état d’incertitude tout en saisissant sa propre incertitude avec toute l’énergie possible, il se trouve intensément présent, dans un état de pure présence qui lui confère une consistance qui est celle même de l’objet. Dans la dualité sujet-objet, l'objet est consistant, et le sujet inconsistant, raison pour laquelle le sujet a toujours besoin de s'appuyer sur l'objet. En effet, les seules choses consistantes dans ma conscience de sujet, ce sont les objets du monde, ma conscience elle-même demeurant résolument inconsistante. Mais si elle parvient à rester intensément présente face à l’objet sans rien vouloir d’autre qu’approfondir cette présence, elle acquiert alors la consistance propre à l'objet, elle se fond en lui, et se trouve ainsi propulsée hors de la dualité sujet-objet, dans la vérité éternelle essentielle. Accepter de ne pas saisir la vérité, accepter de demeurer dans le brouillard, dans l’incertitude; mais le faire non pas passivement, mais avec toute la passion dont on est capable. Alors on devient intensément présent, tout en s'oubliant à la fois. C'est cela, l'éveil.

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