Abstract
Dans ses Carnets de captivité, Levinas fait parler le fond intime de sa pensée : la vérité humaine trouvée dans l’expérience de l’inhumanité du Stalag. Mais cette « épochè » la plus radicale oblige à se détourner du Dasein heideggérien compris comme être-au-monde. Le problème existentiel devient : « Pourquoi ai-je le droit, tout simplement, d’être, d’être moi-même? ». C’est dans cette possibilité du Néant, dans cette solitude orpheline de monde, propre au « Je suis », que réside l’accès à l’origine de l’historicité. Le chemin hors de la différence ontologique et de l’athéisme présupposé par le concept de l’Être conduit hors de la tentation métaphysique de l’être fermé monadologiquement sur lui-même, vers l’extériorité salvatrice. Le nouveau commencement de la pensée qui donne une orientation à l’être-soi mortel est trouvé en Autrui, plus précisément dans l’événement d’une rencontre avec Autrui, qui parle en son propre nom et me parle. L’être-pour-la-mort reçoit un nouveau sens : répondre à Autrui depuis une solitude devenue surnaturelle, pour commencer un nouvel avenir où je suis pour moi, en tant que mortelle liberté, moi-même. La réalisation salvatrice d’une histoire humaine repose donc sur cette compréhension infinie du Temps, car la relation à Autrui crée une certaine passivité, dans laquelle l’Infini se laisse éprouver. Qu’il soit impossible que le salut vienne de moi seul, qu’il doive se produire par l’entremise d’une relation religieuse au visage d’Autrui, prouve que nous sommes « élus » pour vivre. Amour et pardon, structures authentiques de l’humanité, remplacent « l’Être ». « Salut n’est pas l’être », écrit Levinas!